L’Ecossais jette une œillade discrète vers la jeune femme dont le visage est tourné vers la fenêtre. Cela plus de dix jours qu’elle est là, l’ombre d’elle-même, petit moineau malade et abîmé réfugié dans son nid. Dix jours qu’elle se terre sous sa couverture de laine, fixant le ciel gris, sans un mot, à peine un regard. Il sait qu’elle est partie de Londres pour une bonne raison, bien qu’il ne lui en ait pas dit un mot. Ni sur ça, ni sur grand-chose, d’ailleurs.
Seul le bruit du vent se répercute violemment contre la maisonnette, bientôt suivi par les battements de la pluie. Ian Fraser est ermite depuis maintenant dix-sept ans. Le silence est sa rigueur, son mantra. Pourtant, aujourd’hui, il l’indispose.
La cuillère qu’il tient entre ses doigts calleux commence à tapoter le bois de la table. D’abord espacé, le martèlement se fait de plus en plus nerveux, à l’image de la tempête qui sévit au-dehors. Il faut qu’il la ramène. Elle est partie trop loin, trop longtemps.
« C’est terminé. A bheil thu ga mo thuigsinn, sassenach ① ? »Il a vu sa nièce tiquer. Se recroqueviller un peu plus dans son fauteuil. Les traits déjà anguleux du pêcheur se font sévères.
« Quoi ? Qu’est-ce qui se passe ? T’as perdu toutes tes langues ? »« Thalla gu Taigh na Galla ②, Ian. »La voix est sortie, rauque et infime. Mais sous ce manque d’assurance, l’homme sent la volonté de l’Oiselle grâce à l’insulte qu’elle lui a balancée sans hésitation. Quoi qu’elle ait perdu, tout n’est pas mort.
« Je sais pas ce qui s’est passé chez toi. » Elle va pour parler, il l’en empêche d’une œillade.
« Je veux pas le savoir. J’ai jamais rien compris à ton monde et le mien me suffit. Mais là, mo donn ③, c’est plus possible. Il faut que tu rentres. »« Comme tu l’as fait toi aussi ? »La tasse de café fumante heurte violemment le bois. En deux enjambées, il a traversé les quelques mètres qui les séparaient et a saisi sa nièce par le bras. La tête de Célène lui tourne un peu à cause de la stagnation qu’elle s’est imposée durant tout ce temps. Mais aussi déstabilisée par son attitude. Ian n’est pas un homme violent. Rustre mais jamais brusque. Elle a franchi une limite interdite.
« Je te demande rien. Il n’empêche que j’attends de toi du respect, beag burraidh ④. »Elle retient son souffle. Avant de baisser les yeux. Ian n’est pas Callum non plus. Il est des choses qu’elle n’a pas le droit de lui dire. Parce qu’il sait se défendre. Et faire mal.
« Mord pas la main de celui qui t’a nourri. » reprend-il tout en la lâchant lentement.
« Et cach ⑤ ! Bouge-toi ! »
Si un jour Célène se retrouve à l’agonie, alors peut-être Ian tolèrera-t-il qu’elle se laisse aller définitivement. Ce jour n’est pas arrivé. Il l'a assez regardé ruminer. Sa stratégie est cependant bien plus tortueuse que ses mots crus, succincts et tranchants ne le laissent transparaître.
Elle rassemble ses quelques affaires, sans un regard. Le dernier qu’elle lui accorde se trouve devant la porte, alors qu’elle s’apprête à partir, ainsi qu’il le lui a ordonné.
« Tha mi 'tuigsinn. ⑥ »Oui, elle a compris. Ce n’est que le début. Maintenant, il faut tout reprendre là où elle l’a laissé. Elle va rentrer à Londres. Après celui de son esprit, ce sont d’autres combats qui l’y attendent.
Elle ne voit pas Ian ébaucher un sourire alors que le battant se referme derrière elle.
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① Est-ce que tu as compris, sassenach ?
② Va te faire foutre, Ian.
③ Ma brune.
④ Petite idiote.
⑤ Et merde !
⑥ J’ai compris.Code by Silver Lungs